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Les murs de Lou Valat
racontés par Marc Dombre
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Visionner la vidéo réalisée au cours du chantier de printemps 2017


Transcrites ci-dessous, les paroles de Marc pour qui aimerait les lire.
Le village a été implanté ici parce qu’il y avait de la terre
Ce qu’on peut dire, c’est que le village (Vernet) a été implanté ici, pas parce qu’il y avait de l’eau, parce que de l’eau, il n’y en avait pas justement, mais parce qu’il y avait de la terre.
En aval du village, il y a un très vaste terre-plein, même s’il est un peu en pente, cultivable donc et qui pouvait faire vivre des familles.
Les maisons ont
été installées sur le rocher et ont laissée intacte toute la partie cultivable en dessous.
Pour préserver les terrasses de culture, pour ne pas qu’elles soient dévastées quand il y a de très fortes précipitations, les anciens ont créé une ruelle qui traverse le hameau et qui est bordée par les maisons. Cette ruelle qui sert à la circulation entre les maisons, est en même temps un torrent dès qu’il pleut.

Les pierres plantées verticalement s’appellent des “clavades”
Dans le trinquat...
Ce virage était un endroit qui s’était démonté peu à peu. Il a fallu rebâtir tout ça de manière à organiser le torrent parce que sinon ça inondait partout.
On a reconstitué cet emmarchement avec des pierres plantées. Les pierres plantées comme ça, (verticalement), s’appellent des “clavades” parce que ça résiste à la poussée, un peu comme les claveaux d’une route, d’où le terme “clavades”. Les pierres sont plantées de chant et elles résistent à la poussée car elles sont serrées, bloquées les unes contre les autres, “clavées” donc, et l’eau
peut passer dessus sans détériorer. Les emmar­chements cassent la vitesse de l’eau.
Imaginez qu’il y ait des buses en béton ici, au contraire, l’eau accélérerait parce que rien ne la retiendrait.
Également, on a restauré, comme il y en avait avant, ces pierres plantées de chant qui font la berge du torrent et guident l’eau. Chaque pierre étant coincée par la précédente et coinçant la suivante.

La gestion de l’eau et la conquête de la montagne
Il faut se dire que vraiment la gestion de l’eau qui manque par moments et qu’il y a en trop à d’autres, c’est ce qui a guidé l’Homme dans l’installation et dans la conquête du terrain et de la montagne. Et tout ça parce qu’il y a eu une attirance pour coloniser ces espaces par certaines activités économiques qui se sont développées à certains moments.
Il y a eu d’abord le châtaignier que les moines, au xvie siècle, ont développé avec la greffe du châtaignier.
Le châtaignier, c’est “l’arbre à pain”,

Le châtaignier, c’est “l’arbre à pain”, c’est vraiment ce qui permet de bouffer toute l’année parce qu’on récolte la châtaigne à l’automne, on la fait sécher dans les plaines et après, elle se conserve tout au long de l’année une fois déshydratée complètement.

Calade et clavade
On va descendre un petit peu plus bas et là vous avez la différence entre une calade et une clavade parce qu’il y a une nuance.
La calade, c’est quand les pierres sont posées de chant pour faire le revêtement d’un chemin, pour éviter qu’il soit
raviné, ou bien pour faire par exemple le sol d’une cave où on va mettre des bestiaux, des brebis ou des chèvres, pour éviter que le piétinement finisse par tout renverser au fond.
Les anciens caladaient le fond des caves, ils caladaient les chemins aux endroits où ça risquait le ravinement, ou ils caladaient le fond des torrents pour que ça n’emporte pas tout.

On est dans un talweg
Imaginez que tout ce que vous avez là était complètement écroulé au début des années 2000, tout était emporté, c’était inutilisable. Il y avait eu mauvaise maîtrise des ruissellements venant de la propriété au-dessus et donc, tout débordait et arrivait ici.
On est dans ce qu’on appelle un talweg, c’est-à-dire, c’est là que se rejoignent deux pans de montagne, donc il faut bien qu’il y ait un ruissellement possible à cet endroit-là. Donc ça avait été mal maîtrisé et aussi quand il n’y a pas d’entretien, quand des chênes poussent juste au bord, quand il y a aussi les années qui font que les
pierres finissent par vieillir, se déliter, et être moins résistantes sur le plan mécanique, les murs finissent par s’écrouler.
Ajoutez à cela le piéti­nement des bêtes, des sangliers, qui ravagent pas mal les choses, tout ce coin était complètement “vautré”, inutilisable. Le parquet de danse qui avait été créé dès les années 70 était inondé chaque année, recouvert de gravas, de pierres et d’alluvions.

Colette, “grande cheftaine”
Il y a une fille qui s’appelait Colette, elle a été un peu la grande cheftaine qui a permis la réalisation de toute cette reconstruction parce qu’elle est arrivée un jour ici en disant, il faut absolument refaire ces terrasses.
Et donc pendant neuf ans, il y avait deux stages par an, un à Pâques et un à la Toussaint, où venaient tous les bénévoles de l’association que j’encadrais avec mon équipe de travail.
Toutes les pierres qu’on a amenées ici, parce qu’il
ne restait que des débris de pierres et il y avait vraiment très peu de pierres réutili­sables, on les extrayait de la montagne en face, et on les amenait ici avec un trans­porteur à chenilles. De mon camion, on déchargeait à l’entrée du village et un gars faisait la navette depuis l’entrée du village jusqu’ici.

On a commencé par la maîtrise de l’eau
On a commencé évidemment par la maîtrise de l’eau, donc reprendre ce que je vous ai expliqué, ce tournant, qui transforme le trinquat en valat.
Ensuite, on a perfectionné, élargi toute la partie que vous avez en bas. Parce qu’à l’époque, les anciens avaient gagné du terrain pour pouvoir cultiver cette terrasse sans perdre un centimètre carré de surface et le torrent était trop étroit et débordait chaque année.
Celui-là (ce mur-là), on l’avait remonté seulement de deux mètres et puis, il y avait tellement de boulot, de gravas, de trucs à gérer, qu’on a dit, on le rehaussera plus tard.
On a continué, on a fait les murs de dessus jusqu’à
rejoindre le sentier (de Saint-Germain de Calberte), et quand on a eu fini là-haut, que c’était cohérent là-haut, on est revenu et rehaussé ce mur.

Et ensuite, on a fait aussi un mur en bas qui était écroulé en dessous du jardin du voisin.

La pierre sèche est un système constructif drainant pour le terrain
La renaissance de la pierre sèche, il faut en parler aussi.
C’est non seulement, je dirais même premièrement, que la pierre sèche est un système constructif drainant pour le terrain, c’est-à-dire que l’eau va percoler entre les pierres du mur et sortir facilement. Alors que si vous utilisez un mortier de ciment
ou de chaux, la flotte est bloquée derrière.
Et quand il y a un épisode cévenol et une surpression hydrostatique, ça finit par renverser le mur même s’il est bétonné. On a vu énormément, en plusieurs occasions, des murs se renverser carrément d’un bloc.
On a découvert après quarante ans, cinquante ans d’usage intensif du ciment et du béton que la bonne vieille méthode ancestrale de la pierre sèche... elle avait encore un mot à dire.

Les derniers des Mohicans et l’ABPS
Il est arrivé un moment où les praticiens de la pierre sèche disparaissaient peu à peu. C’était un métier, un savoir-faire en voie de perdition complète. Et le “Parc (des Cévennes)” s’est aperçu de ça grâce aux moult gardes répartis sur tout le territoire du Parc, ils ont pu faire un inventaire des gens qui savaient encore la pierre sèche.
Ils nous ont regroupés, on ne se connaissait pas, chacun pensait être le dernier des Mohicans à faire ce genre de connerie.
Et on s’est aperçu qu’on était nombreux, un peu partout, à savoir encore faire et à vouloir que ça perdure.

C’est de là qu’est née l’association des Artisans bâtisseurs en pierre sèche (ABPS).

Un banc de quartz magnifique et rare
Devant un “soleil” de Lou Valat...
Il n’y avait pas de source mais il y avait un évidement du rocher qu’on a franchi en faisant cette voûte, donc ce n’était pas ludique. D’ailleurs je crois qu’on a dû réutiliser le coffrage. Pour franchir ce manque de rocher, on a fait cette voûte et en même temps, c’était un exercice sympa !
Qui dit voûte dit coffrage, installation du coffrage sur des cales pour qu’une fois la voûte bâtie, il faut pouvoir retirer le coffrage. On fait sauter les cales, le coffrage tombe de trois centimètres et rien ne bouge au-dessus.
Ce mur a une particularité : il démarre sur un banc de quartz magnifique et rare d’une aussi grande longueur.
Sachant que dans la formation du schiste, il y a des éléments minéraux qui se mettent de côté, se regroupent et forment ce qu’on appelle des lentilles de quartz. Ça se passe évidemment sous très
hautes pressions et très hautes températures. Le schiste vient de là, de cette cuisson d’argile et de différents éléments. Et après, il y a eu d’autres formations mais le schiste, c’est un peu le matériau de base et quand on le découvre, (le quartz), c’est qu’il y a eu des ravinements qui le mettent en apparence.
Si vous avez un terrain qui “déverse”, ou un rocher qui déverse, votre mur ne deviendra pas vieux car il n’aura pas de retenue à la base. La règle, c’est d’aplanir le départ et même de lui donner une perpendicularité par rapport au “fruit” qui a été choisi pour le mur. Si vous avez 10 % de fruit à votre mur, il faut incliner la fondation perpendiculairement à ce fruit. Et comme ça, vous aurez une bonne fondation.
...
Ça c’est une montée “caladée” qu’on avait faite pour pouvoir passer avec la brouette et c’est resté... Mais c’est vrai que c’est un peu raide !

De la kersantite
Devant la pierre à la mémoire de Colette...
Il y a eu des poussées volcaniques, donc des cheminées volcaniques, et la kersantite vient des cheminées volcaniques qui n’ont pas abouti en surface, qui n’ont pas été oxygénées. C’est de la lave. Et dans le schiste de nos vallées, on trouve par endroits de ces zones qui sont souvent en formes d’arrondis comme sont les cheminées de volcans, et des affleurements qui ont été mis à jour par l’érosion, qui permettent de prélever cette pierre pour faire des angles. Le schiste est un matériau composé de milliers de petits feuillets et c’est assez difficile de tailler un schiste sans qu’il se refende, sans qu’il se clive. On appelle cliver le fait de refendre une pierre de schiste. Par contre, le granit ou la lave sont des pierres qui se taillent assez facilement. On fait de la pierre de taille avec du granit, du calcaire ou de la kersantite mais on en fait très peu avec du schiste.
Vous verrez sur les maisons de Saint-Germain (de Calberte) que souvent, les encadrement de portes ou de fenêtres sont faits en kersantite. Quelques
fois en calcaire quand ils avaient les moyens de faire venir une charrette de calcaire de Barre des Cévennes ou de la plaine.

C’était des gens qui bien souvent choisissaient un endroit parce qu’ils étaient là et se disaient « Là, je vais construire une terrasse, une autre... » et puis la famille s’agrandit, il faut un peu plus à manger, il faut une bête de plus ou deux, etc. Imaginez l’évolution qu’il a pu y avoir. Je crois que souvent les gens “survivaient” ici, c’était pas toujours facile.
Et le xixe siècle notamment a été une période de surpopulation importante. Il n’y aurait pas eu le ver à soie, les gens n’auraient pas pu être aussi nombreux ici. Et quand on sait la population qu’il y avait à Saint-Germain, 450 personnes actuel­lement mais avant, je ne sais pas si ce n’était pas dans les 2500 (pour information, le maximum fut de 2025 habitants en 1841).

La Fondation du patrimoine

Au départ du chemin vers Saint-Germain...

Àpartir de là où il y a la niche, l’eau vient vers ici et rejoint notre trinquat de traversée du village.
Là, Jojo acquiesce d’un miaulement entendu...
comme de bien entendu !

Alors évidemment on a réparé ce cheminement dont la cime foutait le camp un peu partout. Et puis, au-dessus vous avez un mur tout neuf, assez haut, assez imposant. C’était l’endroit où arrivait le plus de flotte de là-haut. Il fallait absolument retenir les alluvions, l’eau, etc. et
donc on a décidé, après avoir acheté ce terrain au-dessus, de faire faire le mur par une entreprise parce qu’avec nos “petites mains” d’une semaine par an, on n’avait pas le temps, on y serait arrivé au fil des ans.
L’entreprise spécialisée d’un gars membre des ABPS a restauré ce mur et l’escalier qui monte à la magnanerie, et le petit toit qui est à côté.
... Et bientôt la clède !

Et ça, on a réussi à le faire grâce à la Fondation du patrimoine, organisme créé en 1998, qui permet, après labellisation d’un chantier, de le défiscaliser.

Où l’on parle de fruit
Un truc important à expliquer, c’est le dimensionnement d’un mur en pierre sèche.
Il va dépendre du “fruit” choisi, de la hauteur finie du mur, de l’angle de frottement du remblai, du type de pierre. Le schiste glisse bien alors que le granit plus râpeux va mieux s’accrocher...


Et pour en savoir plus, découvrir in situ ce que Marc vient de présenter brièvement, et apprécier les fruits de ce travail de longue haleine et jamais fini, il vous reste à venir à Vernet et peut-être contribuer à un prochain chantier.
Alors à bientôt, tous les bras, féminins et masculins, sont bienvenus !

N.D.L.R. :
Merci moult à Marc de son investissement et de sa simplicité aussi grande que son savoir,
et merci à Pierre pour la réalisation du reportage et de la vidéo, et à Annick et bien d’autres pour les photos.
Dans cette couleur et en italiques, les notes de la rédaction tout au long du texte.